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Florence, mai 2015 : dessins de sculptures

dimanche 17 mai 2015

Je suis revenu hier de Florence où je viens de passer une semaine, entre autre, à dessiner des sculptures.
Comme je l'évoque dans plusieurs de mes articles, à l'origine de ce renouveau du dessin et de la peinture qui caractérise la renaissance italienne, il y a la sculpture. Dans cet article, je vais me focaliser sur ce sujet et faire le lien avec cette grâce, cette douceur qui caractérise les arts toscan et ombrien du Quattrocento.

Je suis donc parti à Florence le 9 mai après avoir écrit cet article qui explique comment la "dolce maniera" et la grâce caractérisent non seulement Raphaël, mais aussi celui dont il s'est beaucoup inspiré, Le Pérugin (Pietro Perugino) et d'une manière générale, tous ceux qui ont dessiné et peint à Florence au moment où le Pérugin y résidait : Botticelli, Léonard de Vinci, Ghirlandaio.
On trouve déjà cette douceur chez la génération précédente, Fra Angelico, Fra Filippo Lippi et celle qui précède cette dernière, Masaccio, Masolino.

Comme l'explique Daniel Arasse, ces artistes typiquement toscans, produisant un art local caractérisé par une douceur, une simplicité, une dignité, ont été mis sur le devant de la scène grâce au mécénat de Cosme l'ancien.
Cosme chassé de Florence par Palla Strozzi et Rinaldo degli Albizzi en 1433, revient d'exil en 1434, chasse à son tour ses deux rivaux et choisit de promouvoir les artistes locaux par opposition à son rival Palla Strozzi qui mettait en avant l'art gothique internationnal, art de profusion, art de cour, riche et luxueux.
Pour cette raison, et beaucoup d'autres encore, Cosme l'ancien sera surnommé par les Florentins, le "père de la patrie".


Mais d'où vient cette " dolce maniera " typiquement toscane ?

Mon dernier séjour à Florence date de septembre 2014.
Quand je suis revenu à la Galerie des Offices dimanche 10 mai 2015, j'ai à nouveau été impressionné par la douceur des personnages de Fra Filippo Lippi, Botticelli, Léonard de Vinci (l'annonciation est à nouveau visible).

Au début de la visite du premier étage des Uffizi se trouve la salle des statues antiques.
Lors de ma visite des Offices en septembre dernier je suis passé assez rapidement par cette salle. A l'époque je ne savais pas toute l'importance de la statuaire antique dans la formation du sens artistique des artistes de la renaissance et en particulier à Florence. Mais ce dimanche là, je me suis attardé sur les sculptures, les postures, les expressions, ce qui se dégageait des œuvres, et là, ça a été comme une révélation. J'ai vraiment réalisé comment la douceur, la simplicité et la dignité qui se dégage de l'art toscan de la première renaissance tient de la statuaire grecque !

Je me suis mis à photographier sous plusieurs angles beaucoup de ces sculptures datant des deux premiers siècles avant Jésus Christ et le dessin à gauche est tiré d'une de ces photos. Une sculpture représentant Cupidon. On y lit déjà toute la grâce, la douceur et la simplicité de l'art toscan du Quattrocento.



L'après-midi de ce dimanche, je suis allé à l'Académie dessiner le David de Michel-Ange.
Le David a été commandé à Michel-Ange le 16 août 1501, par l'Opera del Duomo, et l'Arte della Lana (la plus importante maison de commerce et de banque de Florence au XIVe siècle, liée aux tisserands). Il y travailla de 1501 à 1504.
L'oeuvre symbolise la résistance de la république de Florence face aux tyrannies qui la menacent.

La sculpture est à l'origine de l'art de la renaissance dont on peut dire qu'il est né à Florence. Si l'on fait quelques raccourcis, l'art antique a été remis au goût du jour par les premiers humanistes Pétrarque et Bocace.
Tous les deux étaient florentins mais Pétrarque passera la majorité de sa vie en Avignon. Bocace son ami restera à Florence et poussera Pétrarque à revenir y vivre,... en vain.
Toujours est il que les idées humanistes de Pétraque et Bocace vont être partagées par les chancelliers administrant la république de Florence à la fin du XIVème siècle et que ceux-ci vont permettre à la pensée antique de gagner les milieux politiques, intellectuels et artistiques de Florence. Ceci pour plusieurs raisons :

- Florence était la seule république libre à cette époque en Italie et en éprouvait une fierté particulière. A tel point qu'elle se pensait l’héritière directe de l'antique cité romaine. Il fallait donc réétudier les écrits des auteurs romains comme Cicéron.

- Les grandes familles florentines prennent conscience de l'importance de donner à leurs enfants une éducation classique basée sur l’étude du latin et de la pensée antique. Le but est de renforcer le sens civique des futures générations afin de maintenir la paix et la prospérité de la cité : en assurant la pérennité des institutions républicaines et en renforçant la volonté de défendre la cité contre les convoitises extérieures.
D'autre part, l'études des lettres classiques et des fondamentaux de la culture antique permet aussi de donner une légitimé aux futurs gouvernants de la cité.

Les sculptures antiques étaient pratiquement les seuls vestiges des anciennes civilisations grecque et romaine tant admirées par les florentins. Les artistes se sont donc mis à s'inspirer des ces sculptures. Les sculpteurs bien sûr, mais les peintres aussi.

Au XIVème siècle, les élites de Florence commencent à constituer des collections de sculptures antiques. Celle des Médicis était en partie entreposée dans le cloître du couvent San Marco. Michel-Ange y aurait passé des heures à les contempler.

Un de exercices de l’apprenant peintre dans les ateliers de Florence à la renaissance était le dessin de sculpture. Je m'adonne moi même beaucoup à cet exercice, et plus je le fais, plus je me rends compte que la façon dont les artistes de la renaissance italienne stylisent les corps et les visages est directement dérivée de la statuaire antique : têtes rondes, orbites des yeux et paupières bien marqués et dessinés, bouches étroites aux lèvres bien découpées.
Je suis, par exemple, frappé par la ressemblance entre la sculpture du Cupidon vue aux Offices et celle du David de Michel-Ange vue à la galerie de l'Académie. La main tombant négligemment le long de la cuisse est pratiquement la même sur les deux œuvres. Le bras relevé très similaire aussi. Dans le David, Michel-Ange déplace le bras sur l'autre épaule et lui fait tenir la fronde.

Si on y réfléchit bien, c'est aussi, ce qui, à la renaissance, différencie l'art flamand et l'art italien. Les italiens s'entraînaient en dessinant des sculptures antiques qui elles-mêmes stylisaient la représentation de la figure humaine et étaient censées faire passer un message ou transmettre une intention. Par exemple le classicisme, l'harmonie qui fonde le classicisme et qui matche parfaitement bien avec ce même idéal à Florence au 15 ème siècle.
Ainsi on retrouve dans les oeuvres italiennes du Quattrocento cette même manière de styliser la figure humaine, puis d'une manière générale, la volonté de styliser. On retrouve aussi la volonté de transmettre une intention, de faire passer un message. Classicisme bien sûr au début, puis quelques chose de plus moderne ayant trait avec ce concept de grâce qui, bien sûr, est déjà présent dans la culture antique mais qui va être amplifié en reprenant la douceur de l'expression de la figure humaine présent dans l'art gothique international et en se focalisant sur ce message d'amour de la religion catholique en particulier dans le thème des madones.
Les flamands n'ont pas du tout ça. Pas de travail d'imitation ou d'inspiration en liaison avec la statuaire antique, pas de volonté de styliser le modèle mais au contraire la recherche du réalisme à tel point que certains spécialistes parlent déjà de réalisme pour l'art flamand. Voilà ce qui explique la façon dont les personnages sont peints ou dessinés en Flandre au 15 ème siècle : visages anguleux, aussi allongés que ceux des italiens sont ronds, lumières crues et blafardes, postures raides et austères. Bref, représentation de la réalité sans complaisance pour le modèle, sans volonté d'embellissement.
Voici donc une preuve supplémentaire (en négatif) de l'influence de la statuaire antique dans l'art de la renaissance en Italie.




J'ai donc profité de ce séjour d'une semaine à Florence pour traquer dans la ville et les musées les sculptures d'où émanait cette impression de douceur et de grâce qui fait l'unicité de l'art toscan et de l'art ombrien de la renaissance italienne.
J'ai évité les sculptures de la place della signoria qui bien que magnifiques, expriment plus le drame que la douceur et la grâce.

J'ai commencé la visite du Bargello mercredi 13 mai et je n'ai pas fini la visite car je suis resté devant la sculpture de l'Architecture de Giambologna pour en faire cette esquisse.

Bien que cette sculpture soit relativement récente (environ 1565) et que Giambologna soit un maniériste, j'ai vu dans cette sculpture, sa simplicité, l'économie de détail, la pureté des lignes, tout ce que je cherchais.

Il y avait encore, malgré la date récente de cette sculpture, préservées, presqu'à l'état pur, la douceur et la simplicité de l'art toscan du Quattrocento.

Petite anecdote amusante, le papier est un set de table de l'osteria "La Cantinetta" (via Borgo S. Lorenzo N. 14/R). J'y avais dîné la veille et j'avais commencé à faire au cours du repas, des esquisses de visages de Botticelli sur le beau papier jaune sombre du set de table en prenant garde de ne pas le tâcher. Le serveur en voyant le dessin m'avait donné plusieurs feuilles... Je vous recommande fortement cette osteria.



Je suis retourné me poster devant la sculpture le lendemain à la première heure et j'ai passé la journée à réaliser ce deux crayons (sanguine et rehauts de craie blanche). Toujours sur une des feuilles de l'osteria "La Cantinetta".

Un soin particulier a été apporté à trouver la ligne juste. Celle que l'auteur a pensée; celle qui éveille chez le spectateur le sentiment de grâce.

Giambologna ou Jean de Boulogne est né à Douai mais est de nationalité flamande. Il étudie son art à Anvers avant de partir pour Rome de 1555 à 1557. Il s'installe par la suite à Florence sous la protection de François Ier de Médicis.

À Florence, il participe au concours pour la fontaine monumentale de la Piazza della Signoria mais on lui préfère Bartolomeo Ammannati pour la fontaine de Neptune qui y est encore érigée.

Il est cependant sur cette même place l'auteur célèbre de la statue équestre de Cosme Ier de Médicis, ainsi que des statues de L'enlèvement des Sabines et de Hercule luttant avec le Centaure situées sous la Loggia dei Lanzi.


Le dernier jour de ce séjour à Florence, toujours mû par la recherche de sculptures qui ont inspiré l'art toscan, j'ai profité de l'exposition "Power and Pathos: Bronze Sculpture of the Hellenistic World" qui se tient au Palazzo Strozzi jusqu'au 21 juin 2015, pour aller admirer les bronzes grecs datant du premier siècle au quatrième siècle avant Jésus Christ.

S'amassait un nombre impressionnant de pièces rares venues de tous les coins de la planète. Mais on retrouvait dans la plupart des œuvres ce mélange de dignité et d'émotion.

Je me suis arrêté devant cette tête d'Apollon trouvée par des pêcheurs en 1930 à Salerne. Ramenée dans le filet, au milieu des poissons...
J'ai fait l'esquisse debout, le carnet à la main

Contrairement aux dessins de la sculpture de Giambologna, je ne suis pas satisfait des lignes. Je n'ai pas retrouvé réellement ce qui fait la grâce de l'oeuvre originale : le port de tête, cette légère inclinaison. La douce courbure du bas du visage s'opposant à l'arrête presque rectiligne de la joue.

J'ai acheté le catalogue de l’exposition. Il y a une belle version de la tête d'Apollon et les photos des autres œuvres. J'ai aussi retrouvé d'autres photos de cette tête sur Internet.... Je prépare actuellement une version de cette tête plus conforme à l'idéal de beauté qu'elle a su éveiller en moi.

A suivre...